Il n’y a pas de pensée libre sans la possibilité de connaître les idées d’autrui, d’y confronter sa réflexion et donc aussi de faire connaître et discuter son opinion.
C’est pourquoi la Convention européenne des droits de l’homme dispose que « toute personne a droit à la liberté d’expression ». Ce droit comprend « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».
La liberté d’expression n’est pas pour autant absolue et doit se concilier avec d’autres libertés ou droits fondamentaux. Ainsi on ne peut pas accepter, au nom de la liberté d’expression, que quelqu’un crie « au feu ! » dans une salle de cinéma bondée, alors qu’il n’y a pas de feu.
Il y a donc dans les sociétés démocratiques des limites à la liberté d’expression.
Citons plusieurs exemples d’abus que la loi française a prévu de sanctionner :
- les diffamations et les injures,
- la transmission sans son consentement d’images d’une personne prises dans un lieu privé,
- la diffusion ou la reproduction de fausses nouvelles,
- la diffusion, sans son accord, de l’image d’une personne identifiée ou identifiable portant des menottes alors qu’elle n’a pas fait l’objet d’un jugement de condamnation,
- la publication de tout acte de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’il ait été lu en audience publique,
- la diffusion d’informations permettant l’identification d’un mineur ayant quitté ses parents ou victime d’une infraction, sauf demande des personnes ayant la garde du mineur ou des autorités,
- l’apologie ou la provocation à commettre certains crimes ou délits, telles l’apologie des crimes de guerre ou contre l’humanité, des actes de terrorisme ou la provocation à ces actes,
- les diffamations et injures envers les personnes à raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à une nation, une ethnie, une race ou une religion déterminée.
Quelle différence alors entre sociétés démocratiques et non-démocratiques ?
Dans une société démocratique, la liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent le gouvernement ou une fraction quelconque de la population.
Les restrictions éventuelles à la liberté d’expression doivent donc satisfaire à plusieurs conditions strictes pour ne pas y porter atteinte. En Europe, ces conditions ont été précisées et sont garanties par les tribunaux :
- les restrictions à la liberté d’expression doivent être prévues par une loi et énoncées de manière claire et précise ;
- elles doivent être motivées par la poursuite d’objectifs légitimes dans une société démocratique, comme par exemple la protection de la réputation d’autrui, la nécessité d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou celle de garantir l’impartialité du pouvoir judiciaire ;
- elles doivent être réellement nécessaires et les mesures ou sanctions proportionnées au but.
Les restrictions doivent satisfaire ce triple test. A contrario, ne serait pas justifiée une restriction à la liberté d’expression énoncée par une loi claire et poursuivant un objectif légitime mais qui ne serait pas réellement nécessaire à la protection de cet objectif. C’est ainsi que le délit d’offense à un chef d’État étranger a été abrogé suite à un arrêt de la Cour européenne. Non pas qu’on ait le droit de l’injurier ou le diffamer. Simplement, la Cour a jugé que créer ce délit spécifique « n’était pas une mesure nécessaire dans une société démocratique (…), d’autant plus que l’incrimination de diffamation et d’injure, qui est proportionnée au but poursuivi, suffit à tout chef d’État, comme à tout un chacun, pour faire sanctionner des propos portant atteinte à son honneur ou à sa réputation ou s’avérant outrageants ».
Pour en savoir plus
Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales
Conseil de l’Europe
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
Légifrance, le service public de la diffusion du droit
Source : https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/007473
A propos de la modération
Le travail des modérateurs sur Internet est éprouvant et fastidieux. Il exige une concentration permanente et un taux d’erreur quasi nul. Mais le fort volume qu’il peut y avoir lors de pic d’actualité peut entraîner des erreurs. Autant les modérateurs doivent faire du mieux qu’ils peuvent pour rester impartiaux, autant les commentateurs doivent aussi connaître précisément les limites.
Ici nous allons essayer d’exposer quelques exemples didactiques pour aider tout un chacun à mieux cerner ce qui est légal et ce qui ne l’est pas.
Première notion très importante, en droit français, sur un site qui est configuré en mode modération avant publication (pré-modération), les propos tenus dans un commentaire sont alors de la responsabilité de l’éditeur. Cela signifie que la chaîne de responsabilité des propos tenus passe d’abord par l’éditeur qui sera mis en cause pour ce qu’il a laissé publier sur son site, qui lui-même se retournera ensuite vers l’internaute qui a enfreint la loi et la charte des commentaires ou les CGU de l’éditeur. Dans cette configuration, la tolérance aux messages litigieux est très faible par souhait pour l’éditeur de ne pas subir des poursuites.
Si le site est configuré modération après publication (post-modération), la chaîne de responsabilité est différente. C’est l’auteur du commentaire qui est directement responsable de ses propos et s’expose directement à des poursuites. L’obligation légale de l’éditeur est alors de proposer un outil de signalement d’infraction à la loi et d’agir rapidement pour supprimer le commentaire signalé dans les plus brefs délais.
Pour résumer, la pré-modération entraîne automatiquement des délais d’attente de publication importants par effet de goulot mais garantie à minima une certaine qualité éditoriale. La post-modération permet une publication immédiate et des discussions plus naturelles mais encourage les infractions du fait que les trolls profitent de cela pour poster plus de commentaires illégaux sachant qu’ils seront vus jusqu’à qu’ils soient modérés.
Comment juger au mieux un commentaire litigieux ?
Comme vu précédemment, la tolérance aux propos litigieux dépendra du mode de modération et de la politique de l’éditeur. Cependant, les internautes maîtrisent souvent très mal les concepts comme la diffamation et le racisme.
Nous allons essayer ici de donner des indices, sans prétendre connaître la vérité.
Notez que si vous êtes persuadés d’avoir la vérité et vous assumez vos propos, vous êtes libres de les exprimer sur votre média, votre blog, le crier dans la rue, envoyer une lettre à vos élus mais pas de l’écrire sur le site d’un éditeur tiers, qui aura toujours la liberté de publier ou non votre propos. La liberté d’expression ne vous permet pas d’aller chez quelqu’un et de lui dire tout ce que vous pensez. Vous devez obtenir le consentement de cette personne à entrer chez elle et à vous écouter. C’est pareil sur Internet.
Diffamation Késako ?
Concernant la diffamation, elle est une infraction sanctionnée sur le fondement de l’article 29 premier de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Elle consiste en une « allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Elle doit remplir différentes conditions pour pouvoir être caractérisée :
- L’allégation ou l’imputation doit porter sur un fait précis et déterminé ;
- Elle doit porter sur un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ;
- Elle doit viser une personne physique ou morale déterminée.
Lorsque vous déclarez qu’une personne est ceci ou cela, ou qu’elle a fait telle ou telle chose, vous devez pouvoir en apporter la preuve ou la preuve doit être connu de tous. S’il s’agit d’une condamnation par la justice, cela est avérée mais si c’est votre intime conviction, cela ne suffit pas. Seule la justice peut se prononcer sur la culpabilité d’une personne. En qualifiant une personne d’escroc, de voleur, de menteur etc… sans citer la condamnation ou une source fiable de votre propos, vous prenez le risque d’atteindre à sa réputation et jusqu’à preuve de sa culpabilité, il est présumé innocent. Encore un fois, si vous voulez malgré tout prendre le risque d’incriminer quelqu’un sans preuve, rien ne vous empêche de le faire sur votre propre média, vous serez alors le seul responsable de vos propos.
Conclusion : dès que vous commencez une phrase qui met une personne dans une case, et qui commence souvent par, « c’est ou ce n’est qu’un xxxx », « vous n’êtes ou vous êtes qu’un xxxx », cela doit vous alerter que vous êtes probablement en train de faire de la diffamation.
Racisme, moi ? Jamais, je ne dis que la vérité !
Concernant le racisme, juger le racisme n’a rien d’un processus automatique. Les tribunaux sont contraints d’apprécier les délits au cas par cas. Il faut rappeler que la loi ne sanctionne pas le racisme en tant que tel, mais le principe de son expression, publique ou non (nuance ouvrant sur des peines distinctes). Chacun est donc libre d’avoir une opinion sur le sujet, contrairement à ce que laisse entendre la formule récurrente selon laquelle « le racisme n’est pas une opinion mais un délit » : l’opinion raciste devient un délit quand elle est ouvertement formulée, diffusée. Le contexte d’énonciation est alors à étudier de manière précise. Le juge doit apprécier à la fois les termes employés et le contexte dans lesquels ils ont été employés.
Exemple type d’un commentaire raciste :
- « Il faut arrêter avec la laïcité… !!!! La France aux français et rien d’autre et surtout a personnes d’autres…»
Le ton global du commentaire est haineux et stigmatisant, puisqu’il implique une expulsion ou une privation de droits de toutes les personnes non considérées comme « françaises ».
Globalement, ne sont pas acceptés les commentaires qui contiennent :
- Le racisme, xénophobie, l’incitation à la haine raciale, le racisme national
- Les discriminations sur les origines ethniques, le sexe ou les orientations sexuelles
- Les propos antisémites, la stigmatisation envers des communautés religieuses
- La stigmatisation autour d’une particularité physique (blond, roux)
Allusions sur les prénoms
Sur les articles rapportant des agressions des violences, des crimes ou de la délinquance, on ne permet pas les allusions aux noms et prénoms des agresseurs présumés
Généralement, ces allusions sont postées dans le but de faire dire que les délinquants ou criminels sont d’origine étrangère
- « Peut-on avoir les noms des agresseurs svp ? »
- « Pourquoi l’article ne précise pas les prénoms des coupables ? »
- « Pas la peine de demander les prénoms, on sait qui c’est signé I »
Sous-entendus racistes
Les propos flous qui tentent de mettre en cause une communauté sans toutefois la citer, sont également modérés :
- « Après cette nouvelle agression, cette communauté vient se plaindre d’être stigmatisée mais ils font tout pour être stigmatisés »
- « Les coupables sont toujours de la même origine ! Mais bien sûr les médias n’en parlent jamais, chuut pas un mot ! »
- « Combien on parie que les coupables sont adeptes de la fameuse religion d’amour et de paix ? »
Je suis pas pire que les autres… Justement, faites mieux !
Et pour finir, à propos de la vulgarité, la grossièreté, l’agressivité et la violence, cela est certainement le plus facile à juger en général pour les modérateurs mais malgré tout, les internautes ont souvent du mal à réaliser qu’ils dépassent les bornes sous le coup de l’émotion. La vérité peut être dénoncée sans forcément être agressif ou violent, car dans ce cas précis elle perd souvent toute sa force. Mieux vaut écrire son commentaire dans un fichier séparé puis attendre que l’émotion passe pour se relire à froid et enfin le soumettre à publication.
Il ne peut y avoir de dialogue dans la violence, et s’il n’y a pas de dialogue, il n’y a pas de discussion.
Le préalable au débat est le calme et le respect de l’autre et de sa différence.